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Une jeunesse chair à canon
Prise dans l’étau
L’expression « chair à canon » nous vient du Ministre français François-René de Chateaubriand (XIXème), avant d’intégrer le jargon militaire.
Ce terme désigne les militaires faiblement gradés, combattants de première ligne. Pour de simples questions de stratégie ou pour une bataille perdue d’avance, ces soldats étaient mis devant les troupes sans aucune chance de s’en sortir vivant et ce sciemment.
« C’est l’enfant que la destinée , force à jeter ses haillons quand sonne sa vingtième année pour entrer dans nos bataillons. Chair à canon de la bataille toujours il succombe sans cris. » disait le romancier Alexis Bouvier dans « La canaille ».
Pour nous autres africains, ce concept réveille une page douloureuse de notre histoire coloniale. En réfère la célèbre prise de parole du député sénégalais Blaise Diagne, dans le comité secret de la chambre des députés en 1917, désignant le Général Manguin comme « broyeur de noirs ».
Car nul n’est sans savoir que les « Tirailleurs sénégalais » ont toujours occupé des fonctions de seconde zone en général, au sein de l’armée française. Et qui dit soldats moins gradés dit soldats aux fronts.
Ainsi pendant longtemps, victimes d’une discrimination raciale certaine, nos alleux ont toujours constitués la « chair à canon » préférentielle. Et pour imager ce constat historique, je vous renvoie au film « Tirailleurs » de Omar Sy.
Quelques siècles après, ce terme est sorti du jargon et des pratiques militaires car non-admis par les droits de l’homme et par la morale.
Par contre, les civiles ont repris cette pratique à leurs comptes. Que ce soit dans des guérillas, actes extrémistes, soulèvements populaires, « combats » sociaux ou politiques.
Nul besoin de remonter très loin dans l’histoire, prenons l’exemple du terrorisme dit islamiste. Ces organisations mettent un point d’orgue à l’enrôlement des jeunes dans leurs rangs. Pour des raisons évidentes, car jeunesse égale force, insouciance et accessoirement manipulable. Une cible de choix donc quand il s’agit d’engager un conflit armée ou pas.
En répertoriant les attentats de ces dernières années, force est de constater que la tranche d’âge des radicalisés qui passent à l’acte dépasse rarement la trentaine.
Pour en revenir au contexte sénégalais, contrairement à ce qui est dit, nous sommes historiquement un peuple de résistants. Une résistance sous des formes diverses, car si pendant la colonisation nos rois menaient une fronde violente contre l’asservisseur, les religieux quant à eux optaient pour une guerre pacifique.
L’un dans l’autre, ce passé de résistant nous suit toujours. Des porteurs de pancartes qui ont fait face au Général De Gaulle un fameux 26 Aout 1956, en passant par les célèbres frondes de Me Abdoulaye Wade, à l’époque opposant, contre le régime d’alors. L’histoire retient sa célèbre phrase « si vous avez des chaînes de vélos prenez-les !».
Ou encore les émeutes de 2012 visant à s’opposer à un projet de loi du même Wade, mais cette fois président. Et j’en passe !
Quid de l’une des dernières pages de cette revue? Nous avons tous fraichement en mémoire les événements de Mars 2022. Certains décriront l’élément déclencheur comme étant une affaire de moeurs, donc privé, d’un opposant politique à l’audience importante. Pour d’autres, ce n’est ni plus ni moins qu’un complot étatique visant à affaiblir ce dernier. Là-dessus, je donne ma langue au chat.
Mais là n’est pas le thème. Ce qui nous importe au cours de cette rédaction est de mettre la loupe sur les conséquences. Quel impact ? Sur quelle frange de la société ? Et l’éducation dans tout ça?
La réponse est toute trouvée. Les principaux acteurs mais aussi les premières victimes des événements de Mars dernier sont des JEUNES. Et les chiffres sont sans appel : 5 jours d’émeutes, 14 morts, 20 ans, 32 ans, 16 ans, 20 ans, 33 ans…
14 jeunes gens morts, 12 par balles, et ce en toute impunité, car près d’un an s’est écoulé mais justice n’a pas été rendu pour ces « martyrs ».
Mais que dire du POURQUOI ? Que dire de la responsabilité ?
Ces jeunes gens ont répondu à un appel, celui d’un homme politique appelant à la résistance. Une résistance que la constitution sénégalaise permet à tout citoyen ayant le sentiment de subir une entrave à sa liberté.
Mais pour autant, aucune des victimes ne faisait partie de cette haute classe politique. Cela revient à dire que ceux qui succombent sont « les moins gradés ».
De jeunes innocents érigeaient au rang de soldats dans une guerre dont ils ne maitrisent pas forcement tous les paradigmes. Pendant ce temps, ceux pour qui ils mettent leurs vies en jeu restent sur leurs pieds d’estale, bunkerisés, entourés de gardes du corps, protégés.
Moralement, il y a peut-être à redire sur l’approche.
Car Sankara ou Nkrumah étaient des chefs, au devant de leurs combats. Combien de fois Abdoulaye Wade s’est fait emprisonné pour avoir défendu ses convictions par la parole et par des actes ? Cheikh Anta n’a-t-il pas sacrifier une partie de sa carrière scientifique pour ses idées politiques ?
Quid des forces de l’ordre?
Ne sont-ils pas tout autant victimes ? Ce n’est pas parce qu’ils sont armés qu’ils sont des bourreaux.
Là encore une fois, ce sont généralement de jeunes gens qui sont en première ligne face à d’autres jeunes gens. Des frères, des parents mis face à face par la force des choses.
Ces forces de l’ordre n’ont pas à donner leurs avis sur la légitimité ou non de l’opposition qu’ils sont obligés de tenir face à des compatriotes. Et pourtant, eux aussi en pâtissent, eux aussi sont sous le « feu » des projectiles, eux aussi se mettent en danger. Je prends pour exemple le gendarme qui a perdu une main après qu’une grenade lacrymogène ait pété avant qu’il la lance.
L ‘un dans l’autre, il n’est pas dit qu’il est interdit d’avoir des convictions et des idées politiques. De même, il n’est pas dit qu’il est interdit de protester, de défendre ses idées par l’action. Mais quelle action ? N’y a t-il pas d’autres moyens de se faire entendre, de manière non violente ? De manière à ne pas casser ? De manière à ne pas se mettre en danger et mettre en danger la vie d’autrui.
Jusque-là, l’histoire nous relate prés de 200 méthodes d’opposition non-violente qui ont pourtant porté leurs fruits. Qui ont permis de gagner des combats civiques ou politiques sans effusion de sang.
De là, je m’en vais vous présenter une liste exhaustive des grands groupes de méthodes d’opposition non-violente :
* Déclarations publics
* Communications à de larges audiences
* Représentations de groupe
* Actes publics symboliques
* Pressions sur les individus
* Théâtre et musique
* Processions
* Commémoration des morts
* Rassemblements publics
* Retrait et renonciation
* Non coopération sociale
* Ostracisme de personnes
* Non Coopération avec évènements, coutumes et institutions sociales
* Retrait du système social
* Action par les consommateurs
* Action des travailleurs et producteurs
* Action des intermédiaires
* Action des possesseurs des ressources financières
* Action des gouvernements
* Grèves symboliques
* Grèves agricoles
* Grèves de groupes particuliers
* Grève industrielle ordinaire
* Grèves restreintes
* Grèves multi-industrie
* Combinaison de grèves et de fermetures économiques
* Rejet de l’autorité
* Non coopération des citoyens avec le gouvernement
* Alternatives citoyennes à l’obéissance
* Action du personnel gouvernemental
* Action à l’intérieur du gouvernement
* Actions gouvernementales internationales
* Intervention psychologique
* Intervention physique : sit-in, occupation d’espace debout, occupation d’un lieu interdit, occupation bourdonnante Intervention sociale
* Intervention économique
* Intervention politique
Certaines de ces méthodes peuvent paraître ridicules ou inadaptées au contexte, mais pas toutes. Et n’en déplaise, chacune de ces méthodes a au moins une fois dans l’histoire servi une cause.
Récemment une protestation dite « bourdonnante » a été employée par des opposants sénégalais. Résultat aucun mort, et pourtant le message est passé.
En toute connaissance de cause, mes interrogations sont les suivantes : pourquoi ces leaders ne font pas recours à ces méthodes ? Ne puisent pas dans ce flot d’approche revendicative qui ne causeront aucun martyr et des familles endeuillées ? Pourquoi mettre nécessairement la jeunesse en danger ?
A ma jeunesse, même en état de siège, nos politiques feront toujours en sorte de frayer un chemin à leurs progénitures pour qu’ils aillent à l’école. Allant jusqu’à les isoler à l’étranger pour qu’ils ne soient aucunement divertis dans leur études.
Et vous dans tout ça ? Êtes-vous contraints à être réduits à de la chair à canon ?
Très intéressant mon ami bon courage
Belle réflexion mon frère mon fils.